Matthieu, est-ce que tu peux me présenter le poste de responsable de l’innovation que tu occupes à la BnF.? C’est un nouveau poste, d’où vient cette idée ?
L’idée est issue d’un séminaire d’encadrement de la bibliothèque qui portait sur « la BnF en 2025 ». La question de l’innovation est l’un des axes forts qui est ressorti de ce séminaire. Cette thématique a été reprise par le président Bruno Racine, puis par la directrice générale de la BnF, Sylviane Tarsot-Gillery, qui a décidé de créer ce poste que j’occupe depuis décembre 2015.
Comment définis-tu l’innovation ?
L’une de mes définitions favorites est celle de Sylviane Tarsot-Gillery : « l’innovation, c’est changer de regard » (sur le métier, les usagers, les bibliothèques…) Dans l’innovation, il y a parfois une dimension de rupture mais il y a aussi une forme de changement dans la continuité quand on cherche à optimiser des processus déjà existants.
Quelles sont tes principales missions ?
Il y a trois grands aspects. Il y a d’abord une dimension culture de l’innovation très présente dans ma lettre de mission. Il s’agit de changer nos façons de travailler, d’introduire de la transversalité et d’être un peu moins hiérarchique dans une maison qui l’est fortement. Ça, c’est l’aspect interne, avec un volet formation, animation de séminaires, etc.
Ensuite, il y a toute une dimension écosystème de l’innovation qui relève de la relation partenariale avec différentes structures : l’univers des start-ups, le secteur économique de l’innovation, les autres bibliothèques, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, le conseil des générations futures de la ville de Paris où je représente la BnF…
Et puis il y a un dernier aspect, davantage tourné vers la prospective et la R&D. La BnF a intégré l’année dernière Ideas Laboratory, une plateforme d’innovation ouverte mise en place par le CEA (commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables) avec un certain nombre de partenaires des secteurs privé et public. On met en place des projets pour imaginer l’évolution de la société, que ce soit le campus en 2050, le foyer dans 10 ans ou la bibliothèque du futur. Cette plateforme est principalement basée à Grenoble mais notre souhait serait d’avoir une instance physique ici, à Paris. Il pourrait s’agir d’un bâtiment situé sur l’esplanade de la BnF, c’est encore à définir…
Quels projets as-tu pu mettre en place depuis 6 ou 7 mois ?
Il y a des choses à différentes échelles. On est par exemple en train de mettre en place un annuaire des experts de la BnF. Il existe déjà une plateforme qui s’appelle production-scientifique.bnf.fr. On a décidé de faire évoluer cet outil en s’inspirant de ce que fait la British Library. Notre prestataire informatique va lui donner un aspect plus convivial et davantage axé sur les pages personnelles des collègues, tout en conservant la liste leurs productions bibliographiques. Il y a eu une période où on ne voulait pas que les gens soient exposés directement. Aujourd’hui, on est dans une logique différente. On va encourager les gens à être visibles et à se créer un profil. C’est un projet simple parce qu’on prend un outil qui existe déjà, on tâche de comprendre pourquoi les collègues ont du mal à le mettre à jour eux-mêmes et on essaie de l’améliorer. Je pense que ça va dans le bon sens étant donné que la BnF est souvent perçue comme une source d’expertise.
Il y a un autre projet qu’on mène en interne, c’est la mise en place d’un réseau social professionnel. À l’inverse de notre intranet, qui fonctionne très bien mais de façon descendante, il s’agirait d’un réseau collaboratif où l’information circulerait de façon transverse, voire remontante… C’est un outil de travail mais qui vise aussi à favoriser les échanges informels dans un établissement très formel. Il y avait un projet qui avait été lancé de façon assez classique avec une importante phase d’étude mais qui avait été mis en attente parce qu’il était difficile d’en évaluer l’impact, le coût, etc. J’ai proposé de procéder autrement et de faire une expérimentation par l’usage. On a choisi de travailler avec deux outils : Jamespot, un progiciel français, et Bee-Inn qui a été développé par l’Innovation Makers Alliance, un think&do tank dont nous sommes membres. On va les tester pendant douze mois avec des communautés déjà structurées : les coordinateurs de service public, les correspondants ressources humaines, les référents innovation…
Qui sont ces référents innovation ?
Ce sont des gens qui ont une expertise ou qui sont intéressés par la question de l’innovation. Ils sont une quinzaine répartis un peu partout dans l’organigramme. C’est une communauté qui existait avant que j’arrive et qui est informelle. Aujourd’hui, je suis le seul à travailler à temps plein sur ce sujet. On réfléchit à construire une équipe innovation avec du personnel qui pourrait y consacrer une part définie de son temps de travail, mais c’est quelque chose de compliqué. Actuellement le département des Systèmes d’Information est le premier à adopter ce système en détachant un certain nombre de collaborateurs pour travailler sur des projets innovants sous forme de « preuves de concept » (ou « POC »).
Est-ce que tu peux me parler du projet « Venir à la BnF » ?
C’est un projet réalisé en partenariat avec l’Ensci (la célèbre école de design) et le SGMAP (le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique). On a proposé à des étudiants de travailler sur la question de l’accueil à la BnF : accueil physique, accueil numérique, hospitalité… Les 20 étudiants ont chacun proposé un projet différent.
Comment ont-ils travaillé ?
C’est un projet qui s’inscrit dans l’atelier INFORME dirigé par Stéphane Villard, consacré au design de service (c’est-à-dire qu’il pose la question du besoin et de l’usager avant tout). Les étudiants ont travaillé pendant presque 4 mois à mi-temps. Ils ont passé une bonne semaine en immersion chez nous. Leur prof leur a demandé de vivre des expériences personnelles dans la bibliothèque : aller à telle conférence ou dans telle salle de lecture, visiter telle expo… Il y a eu plusieurs rendus intermédiaires, une présentation finale le 1er juillet devant le personnel de la BnF et du SGMAP, et puis pour finir, le 6 juillet, une autre présentation à l’Ensci, devant la communauté des innovateurs publics.
Est-ce qu’il y a des projets d’étudiants qui t’ont particulièrement interpellé ou surpris ?
Il y a plusieurs choses qui nous ont frappé. Par exemple, à la BnF, on est extrêmement perturbés par le fait que les gens ne trouvent pas la nouvelle entrée, malgré la mise en place d’un portique très haut, très massif et très visible. Pourtant, aucun projet ne s’est penché sur cette question en tant que telle. En revanche, il y a une proposition de refonte du hall qui part de l’idée que, pour les usagers, le problème n’est pas tant l’entrée difficile à trouver que le fait qu’une fois dedans, ils sont à nouveau perdus. Si on trouve un moyen pour faciliter la vie des usagers une fois qu’ils sont entrés dans la bibliothèque, ça pourrait minimiser ce qui est interprété a posteriori comme une difficulté d’accès mais qui est en fait une difficulté d’orientation dans le site…
Nous avons également été étonnés par la proposition de certains étudiants d’élargir notre offre pédagogique en direction de la jeunesse pour inclure les enfants. Nous délivrons des cartes de lecteur à partir de 16 ans et nous assumons tout à fait de pas être une bibliothèque pour enfants (bien que la salle I dispose d’un accès pour des enfants accompagnés par leurs parents et que nous fassions des ateliers pédagogiques). Mais les étudiants nous ont fait remarquer que les enfants représentent une part importante de la population, et qu’il y a des chercheurs qui ont des enfants et qui sont embêtés parce qu’il n’y a pas d’activités pour eux…
Certaines propositions vont-elles être implémentées à la BnF ?
Oui, on va sans doute prendre certains étudiants en stage l’an prochain pour transformer leurs projets en réalité ou pour nous accompagner durablement dans une optique de design au sein de la communauté innovation.
On ne va pas pouvoir réaliser tous les projets mais on va essayer de refaire le plan d’orientation de la bibliothèque par exemple. Ça, c’est un projet assez concret. Arnaud Beaufort, le directeur des services et des réseaux, s’intéresse à trois projets qu’il souhaite intégrer aux services en ligne proposés par l’établissement. Une étude de faisabilité est en cours. Un autre étudiant a proposé une application « BnF agenda » permettant d’afficher sur des écrans et en ligne une version un peu plus claire du programme de nos manifestations culturelles. On est en train de réfléchir à la refonte de notre site web et cette brique pourrait tout à fait y être intégrée…
Pour finir, est-ce que tu peux me parler de tes futurs projets ?
En octobre, l’innovation sera le thème de notre 16e journée des pôles associés. Il y aura plusieurs tables rondes et on présentera de façon plus détaillée le projet mené avec l’Ensci.
Ensuite, du 19 au 20 novembre, dans le cadre de la Semaine de l’innovation publique, on va organiser un hackaton à la BnF, avec une centaine de personnes qui se répartiront en équipes. Gallica sera mise en avant car c’est notre outil le plus connu mais toutes nos autres applications seront concernées, autour de thèmes que nous allons discuter sur le forum Etalab. On aimerait aboutir à des choses concrètes, pour créer de nouvelles fonctionnalités qui ne sont pas encore présentes dans Gallica, comme un moteur de recherches d’images par exemple. C’est une piste possible mais ce sera totalement ouvert. Il ne sera pas nécessaire d’avoir des compétences techniques. À travers ce hackathon, on aimerait montrer comment les données publiques peuvent être réutilisées par tout un chacun. J’aimerais avoir des école de musique ou des conservatoires pour interpréter des partitions de Gallica par exemple. C’est notre premier hackathon, on va essuyer les plâtres !
Entretien réalisé en juillet 2016