Enfin une bibliothèque latine modèle ?
Habituellement, ce sont surtout les bibliothèques du nord de l’Europe qui font briller les yeux des bibliothécaires français. Les pays du sud, comme l’Espagne ou l’Italie, sont plus proches de notre culture professionnelle nationale. Ils paraissent aussi moins innovants que les pays du nord, surtout si l’on parle d’aménagement intérieur.
Prenons l’exemple du prix de la bibliothèque de l’année remis chaque année par l’IFLA, une récompense qui se focalise assez largement sur les espaces. Depuis 2014, il a été décerné à des établissements australiens, suédois, danois, néerlandais, finlandais, norvégiens, états-uniens… La France, qui est pourtant loin d’être avare en constructions, a été boudée jusqu’à présent. De façon générale, les pays latins brillent par leur absence (tout comme le monde extra-occidental, mais c’est un autre sujet).
Tout cela était vrai jusqu’à l’année 2023 et la remise de ce prix à la bibliothèque Gabriel García Márquez de Barcelone. Qu’est-ce qui distingue cet établissement et qui permet enfin à une bibliothèque espagnole d’être récompensée ?
Pour répondre à cette question, je me suis livré à un exercice de bibliotourisme. J’ai suivi la même procédure que lors de ma visite de Muntpunt en Belgique. Mes observations s’appuient avant tout sur la découverte de la bibliothèque comme un simple usager : pas de visite guidée, pas de coup d’œil privilégié dans les coulisses. Pendant 2 jours, j’ai profité du lieu pour lire, travailler, et même piquer une sieste. Après ce temps d’immersion, j’ai recherché des informations en ligne afin d’aiguiser mon ressenti.
Mes conclusions peuvent être regroupées, de façon assez basique, en deux catégories : j’aime et j’aime pas. En effet, même si García Márquez est un établissement remarquable, plusieurs points m’ont fait tiquer. Mais avant de vous expliquer tout cela dans le détail, je dois dire quelques mots au sujet du bâtiment imaginé par l’agence catalane SUMA Arquitectura.
Un bâtiment ouvert sur la ville
La bibliothèque est située dans le district populaire de Sant Martí. La façade est composée d’un jeu de lames et de plis censé évoquer une pile de livres. On pardonnera aux architectes cette métaphore peu subtile car elle est exécutée de façon élégante. Paradoxalement, comme on le verra plus tard, malgré cette proclamation formelle, les collections sont loin d’être le point fort du lieu.
La bibliothèque est bâtie sur une parcelle étroite qui lui dicte sa forme de cube avec un angle biseauté. Cette forme renvoie, de façon assez évidente, au design des îlots urbains en octogone caractéristique de Barcelone. Le biseau ou chanfrein (xamfrà en catalan) est occupé par une terrasse en bois ombragée, avec une volée de marches menant vers l’entrée.
Ces marches sont également utilisables comme des assises. Cette intention a été parfaitement comprise par le public. Lors de mes 2 jours d’observation, la terrasse était en permanence occupée par des flâneurs, notamment les élèves des groupes scolaires environnants. Pour mettre à profit la présence de ces nombreux « spectateurs », le rez-de-chaussée est transparent et fonctionne comme une grande vitrine.
Un bâtiment écologique
Rentrons à l’intérieur.
La bibliothèque compte environ 3500 m2 de surface utile. Elle est bâtie autour d’un impressionnant atrium triangulaire. 5 étages sont desservis par des escaliers formant une « spirale de rencontres » (espiral de encuentros) selon la formule des architectes Elena Orte et Guillermo Sevillano. Habituellement, je ne suis pas fanatique de ce type de geste architectural, fréquent dans les grandes bibliothèques, qui fait rimer lieu de culture et monumentalité. Cette fois, je dois avouer que le dispositif fonctionne bien grâce à la connexion harmonieuse de tous les espaces entre eux (j’y reviendrai).
Le choix de la verticalité répond aux contraintes du site mais il apporte aussi un éclairage, un chauffage et une ventilation naturels (la lumière réchauffe l’air intérieur qui circule en hauteur). Comme l’illustre ce principe de cheminée solaire, la conception du bâtiment se veut hautement écologique. Le bois utilisé à la fois pour la structure et l’agencement est certifié CFS (il est issu de forêts gérées de façon durable). Omniprésent, il apporte également beaucoup de chaleur aux espaces.
Une promenade architecturale
On perçoit nettement dans le bâtiment la volonté de créer ce que l’on appelle depuis Le Corbusier une promenade architecturale, c’est-à-dire un enchaînement de volumes, de vues et d’ambiances qui incitent naturellement le visiteur à se mettre en mouvement. La plupart des espaces, même cloisonnés, sont connectés visuellement, ce qui pousse à les explorer : les espaces situés sur un même plan grâce à des ouvertures, les niveaux verticaux par l’intermédiaire du vide central, et l’intérieur avec l’extérieur via des accès et des baies vitrées.
La bibliothèque dispose au niveau -1 d’un jardin petit mais très agréable. Dans un article précédent, je m’étais moqué de la manie des architectes français qui consiste à enclaver des jardins intérieurs dans les bibliothèques. Ces lieux sont généralement inutiles : qui aurait sérieusement envie de s’enfermer dans un bocal pour prendre l’air ? A l’inverse, le jardin de García Márquez incite véritablement à sortir.
Les usagers lui ont spontanément assigné une fonction d’espace de travail sonore. Lors de mes visites, il y avait presque toujours une ou deux personnes réalisant un appel FaceTime ou une visioconférence (ce que j’ai moi-même fait). Le jardin rejoint la rue grâce à un escalier qui constitue un second accès potentiel à la bibliothèque (la porte était cependant fermée lors de ma visite).
Une ambiance biophilique
La connexion avec l’extérieur se fait aussi par l’intermédiaire de grandes fenêtres qui théâtralisent les environs, parfois de façon spectaculaire. C’est le cas dans la casa de la lectura, une zone très photogénique, où une large baie sélectionne habilement une vue sur la cime des arbres environnants de façon à donner l’impression d’être dans une forêt.
Les végétaux sont également très présents dans les espaces intérieurs. Conjugués au bois, ils contribuent à créer une atmosphère biophilique. La biophilie est la thèse d’après laquelle les êtres humains auraient une connexion innée avec les éléments naturels (lumière, plantes, roche, eau…). Leur présence dans un lieu public favoriserait ainsi le bien-être, la créativité et la concentration. Cet effet, qui a été étudié principalement dans des environnements de travail tertiaire, est mesurable même lorsque la nature est simplement évoquée, à travers des matériaux, des motifs ou des images. Cela résout le problème épineux de l’entretien et de l’arrosage : toutes les plantes présentes dans la bibliothèque sont artificielles, ce qui ne diminue en rien leur effet apaisant.
Du mobilier classique avec une touche « comme à la maison »
Du côté du mobilier, la plupart des choix sont sobres et classiques, avec principalement des assises Softline et Enea identiques à ce que l’on trouve dans beaucoup de bibliothèques françaises. Les niveaux 2 et 3 se singularisent par la présence de fauteuils en rotin de la marque colombienne Tucurinca, dotées de plus de caractère mais aussi plus confortables. Des tapis persans de la marque Rugvista constituent un clin d’œil bienvenu à l’univers domestique.
C’est surtout la casa de la lectura (encore elle) qui se singularise avec ses 2 fauteuils suspendus et son grand hamac. Ce mobilier de jardin, que l’on peut retrouver en France dans des enseignes grand public telles que Maisons du Monde, fait énormément d’effet tout en étant très bon marché. Il permet de créer une véritable salle de sieste, une fonction que l’on retrouve plus couramment en BU qu’en BM.
L’inconvénient de ce type d’assise est d’être très convoité tout étant disponible en exemplaires limités. Si vous souhaitez profiter du hamac, il faudra patienter un peu et potentiellement tolérer les ronflements de la personne déjà installée !
Une grande diversité d’espaces
Le point le plus remarquable dans l’établissement, qui le distingue fondamentalement et qui justifie à lui seul la récompense de l’IFLA, est la diversité des espaces.
J’entends d’abord par là une diversité de zones : la bibliothèque comporte des espaces assez classiques (presse, enfance, BD…), des espaces plus spécifiques (un local radio, une cuisine, un grand auditorium) mais aussi une multitude de sous-zones dotées de noms de baptême pittoresques (le forum des idées, la maison des livres, le théâtre des sens, le palais de la lecture, etc.).
Cette profusion n’est pas évidente à retenir mais cela n’a pas beaucoup d’importance car chaque zone a une identité propre, que ce soit par la hauteur sous plafond, le type d’éclairage, le niveau sonore, la connexion avec l’extérieur, le choix de mobilier ou les éléments d’agencement.
Chacune de ces zones correspond aussi à des postures spécifiques. Je me suis amusé à replacer les différents espaces dans la matrice des contextes de travail que j’avais présentée dans un article précédent. Une large surface du spectre est couverte, avec un rare esprit de nuance. La bibliothèque propose des configurations et des ambiances adaptées à quasiment tous les usages : calmes ou dynamiques, bruyants ou silencieux, individuels ou collectifs.
L’un de mes espaces préférés est le Forum des idées. Il s’agit d’un ensemble de places de travail délimitées par des rideaux translucides qui peuvent être ouverts ou fermés. Le lieu est amusant à parcourir grâce à sa scénographie éthérée et, lors de mes visites, il semblait également bien fonctionner pour les différents usagers en ayant pris possession.
Une vision audacieuse des bibliothèques et un programme centré sur les usages
Ce camaïeu d’usages est issu du programme ou plutôt de la relecture du programme par SUMA arquitectura. Pour rappel, le programme d’un ouvrage architectural est en quelque sorte son cahier des charges. C’est la description technique et fonctionnelle des futurs espaces à laquelle un architecte va venir donner une forme concrète.
Après avoir été sélectionnés sur concours en 2016, les architectes Elena Orte et Guillermo Sevillano ont fait une proposition osée : retravailler le programme afin d’intégrer les usages plus finement dans le projet, pour véritablement créer « une bibliothèque du XXIe siècle. » La proposition a été accueillie favorablement par la ville de Barcelone et les fondateurs de SUMA ont pu développer leur propre concept de bibliothèque publique.
Pour Orte et Sevillano, les collections d’une bibliothèque ne sont pas simplement documentaires : elles sont formées par tout ce qu’apportent les usagers qui l’utilisent. Pour eux, une bibliothèque doit être considérée comme un répertoire de situations permettant d’échanger et de produire des connaissances, plutôt que comme un lieu de conservation et d’accès au livre.
De nombreuses situations du quotidien sont déjà génératrices de savoirs et d’échanges. Par exemple, dans les pays de culture hispanophone, la tertualia désigne un type de rassemblement où des individus se retrouvent périodiquement pour bavarder amicalement. En France, on pourrait peut-être mentionner le rituel de l’apéro. Pour aménager une bibliothèque, il suffit de traduire ce type de situation en espaces.
Concrètement, Orte et Sevillano ont procédé de la façon suivante :
1) ils ont analysé des situations de la vie quotidienne qu’ils ont jugées intéressantes (faire du lèche vitrine, se promener, faire une sortie, se réunir pour bavarder, bouquiner chez soi, etc.)
2) ils ont transposé ces situations dans une bibliothèque idéale sous forme de concepts programmatiques : l’agora/vitrine, le forum des idées, etc.
Les diagrammes précédents sont extraits de cet article qui résume la démarche. Les nombreuses idées répertoriées ou imaginées sous forme graphique n’ont pas toutes été mises en place dans la bibliothèque García Márquez, mais on reconnait distinctement la richesse de ce travail préliminaire dans les espaces qui ont été effectivement livrés (la terrasse d’entrée est ainsi une version simplifiée du concept d’agora-vitrine).
La démarche originale de SUMA mériterait de faire des émules en France. Les programmes des bibliothèques françaises sont trop souvent des copier-coller de projets précédents, sans aucune recherche originale. Ils prennent la plupart du temps la forme de cahiers des charges ennuyeux, avec très peu d’éléments sensoriels, visuels ou graphique. Les espaces y sont réduits à des tableaux de surfaces qui alignent des m2 ou à des diagrammes abstraits composés de cercles et de flèches. Cette approche dénuée de créativité aboutit à des lieux qui le sont tout autant.
Les points perfectibles
Malgré l’inventivité qui habite le projet, García Márquez comporte également des points faibles.
J’ai par exemple trouvé décevants les espaces jeunesse qui semblent être passés entre les mailles de la belle réflexion globale sur les usages et les postures. Malheureusement, c’est un constat récurrent dans les bibliothèques actuelles. En France, la jeunesse représente fréquemment 50% du public inscrit. Pourtant, les zones dédiées aux enfants ou aux familles sont souvent sacrifiées en termes de surface et impensées en termes d’usages.
A Barcelone, la zone 0-7 ans, toute en longueur, est relativement austère malgré quelques tapis en mousse au sol. On y trouve certes un « théâtre des sens » comportant un gradin en bois, mais il était fermé lors de mes visites et ne semble utilisé que de façon évènementielle. Dommage : c’est l’un des rares espaces dans ce cas, avec la cuisine et l’auditorium (pour lesquels ce choix se justifie davantage).
J’ai également relevé ici et là quelques problèmes mineurs d’utilisabilité. Au rez-de-chaussée et au niveau -1 par exemple, les tables de travail ont un design qui invite à les déplacer… mais elles sont câblées. A la suite probable de micro-incidents, les bibliothécaires ont dû ajouter des feuilles A4 indiquant : « merci de ne pas déplacer les tables, vous risquez de débrancher les prises. »
Il s’agit d’un problème marginal mais qui me semble révélateur d’une tension entre certaines intentions architecturales et les usages réels du lieu par les bibliothécaires. Je perçois une tension similaire dans 3 domaines : les collections, la médiation et les modalités du séjour sur place.
Des collections peu fournies
Les collections sont à mes yeux le point noir le plus flagrant de la bibliothèque, aussi bien en termes d’espaces que pour l’offre elle-même.
Dès qu’il s’agit de rayonnages, les architectes perdent toute inspiration. Les documents semblent parfois simplement là pour faire tapisserie (comme dans la casa de la lectura où les livres occupent toute la hauteur sous plafond). Plusieurs zones de collection se résument à du remplissage, sans vraie réflexion sur leur exploration. C’est le cas pour la section fiction, avec ses alignements monotones, pour les rayonnages de BD incurvés et beaucoup trop près du sol, et plus encore dans la section histoire : ultra dense, recroquevillée inexplicablement dans une alcôve reculée, elle donne le sentiment d’un boulet dont personne n’a su quoi faire.
On perçoit ici et là des intentions intéressantes en matière de merchandising mais elles sont souvent inabouties. Je pense par exemple au fonds Francisco Ibáñez consacré à cet auteur de BD, qui hésite entre le stockage et la présentation muséographique et qui brille surtout par ses bacs désespérément vides. Même constat du côté du (minuscule) fonds ados installés sur des étagères en bois.
De façon générale, l’offre documentaire est rachitique. J’ai compté environ 35 000 documents en libre accès. C’est 2 à 3 fois moins que la moyenne en France dans des établissements de cette taille. Moi qui m’échine souvent à convaincre les bibliothécaires de désherber, je dois dire que l’excès inverse me parait tout aussi rebutant. Beaucoup d’ouvrages m’ont semblé défraichis ou datés. En 2 jours, j’ai vu peu d’usagers manipuler des documents. La dimension modeste de l’étagère des réservations en libre accès est révélatrice d’un nombre limité de prêts.
Je n’ai pas le recul suffisant pour savoir si cette faiblesse documentaire est propre à García Márquez, si elle découle d’un accent trop fort dans le programme sur les fonctions non documentaires, ou si c’est une problématique commune aux bibliothèque espagnoles en général. Quoi qu’il en soit, cette question des collections ne va pas contribuer à réconcilier les professionnels farouchement agrippés aux livres et les fanatiques du tiers-lieu.
Des points de médiation encombrants
Le deuxième point qui m’a interpellé peut lui aussi être rattaché à une querelle des anciens et des modernes. Il concerne le mobilier de médiation.
Le hall d’entrée est l’un des rares lieux que j’ai trouvés ratés. A peine le seuil franchi, on se trouve face à une immense banque de renseignement. Cette présence massive qui perturbe la lecture des espaces suivants n’est en rien justifiée pas sa fonction. Les 2 bibliothécaires postés m’ont au contraire semblé gênés par ce mobilier-barrière lorsqu’ils devaient être actifs (par exemple pour rappeler à l’ordre un groupe d’ados turbulents).
Un constat similaire peut être fait pour tous les autres points de médiation : à chaque étage, on trouve plusieurs bureaux imposants. Lorsqu’ils sont occupés et que des assises sont situées juste à côté, on peut avoir le sentiment désagréable d’être sous surveillance. Lorsqu’ils sont inoccupés, comme c’est le cas la plupart du temps, ces meubles sont parfois détournés en tables de présentation ou bien ils sont simplement agrémentés d’un panneau d’excuses.
Ces excuses sont totalement superflues. Dans un établissement de ce type, tout est fait pour pousser à l’autonomie et la présence de bibliothécaires en nombre serait parfaitement inutile. L’une des leçons les plus difficiles à admettre et à appliquer pour les professionnels dans le modèle du tiers-lieu est probablement : nous ne sommes pas indispensables. Le fait d’avoir réservé aux bibliothécaires autant de place (au final inutile) me semble découler d’un attachement inattendu à un modèle dépassé dans un lieu si actuel par ailleurs.
Cette problématique n’est pas propre à Barcelone : dans la plupart des projets de réaménagement auxquels j’ai contribué, le mobilier de médiation (son design, son nombre, son emplacement) était un sujet d’angoisse, de blocage ou d’incertitude, avec bien souvent la mise en place au final de solutions compromis peu satisfaisantes.
Un tiers-lieu pas si tiers-lieu que ça
Le dernier point qui m’a interrogé est l’interdiction de boire et de manger. Quel dommage de proposer au public tout le nécessaire pour passer une journée sur place sans fournir la totalité des services permettant de satisfaire ses besoins de base !
Dans le même registre, la bibliothèque ferme 2 heures pour une pause méridienne, 3 jours par semaine. Je ne l’avais pas réalisé au premier abord et j’ai eu la surprise d’être poussé dehors au milieu de la journée, en même temps que 150 ou 200 personnes.
Une grande part du public est composée d’étudiants. Leur imposer une telle coupure est une très mauvaise stratégie. Comme le designer britannique Paul Jervis Heath l’a constaté dans les BU de Cambridge, lorsque des étudiants ne peuvent pas faire une pause dans ou à proximité de leur bibliothèque, ils sont forcés de la quitter et la plupart ne reviennent pas. J’ai fait le même constat à Barcelone : une fois la bibliothèque rouverte, une grande part de ce public avait disparu.
Avec les horaires d’ouverture, on touche à des questions organisationnelles et culturelles. L’organisation du temps de travail mais aussi le rythme de vie, le rapport à la pause méridienne, ne sont pas les mêmes en Espagne, en France ou au Danemark. Mais il me semble que là encore, on peut percevoir un manque de confiance dans l’autonomie du public qui survivrait très bien, j’en suis sûr, à la présence d’effectifs réduits le temps de la pause déjeuner des bibliothécaires.
Conclusion
Terminer ce billet en énumérant les points faibles du lieu (à mes yeux) peut laisser un sentiment de déception que je souhaite rééquilibrer dans cette conclusion.
La bibliothèque García Márquez est une véritable réussite à plus d’un égard. Elle est par exemple très agréable à vivre. Je visite beaucoup de bibliothèques et cet établissement barcelonais est l’un des rares où j’ai véritablement pris du plaisir à séjourner, à travailler et à déambuler. En tant que living room urbain, c’est un lieu qui fonctionne admirablement bien grâce à un camaïeu très varié d’ambiances et de postures.
En même temps, des tensions irrésolues sont perceptibles dans le projet, notamment à l’interface entre le lieu physique et le champ d’action des professionnels (collections, médiation, accueil). La fonction documentaire (peut être trop rapidement évacuée par les architectes ?) est abordée comme une contrainte encombrante plutôt que comme une dimension à réinventer. En parallèle, certains partis-pris limitent le caractère de tiers-lieu de la bibliothèque et la gardent étonnamment captive d’un modèle daté.
Bref : García Márquez mérite tout à fait son titre de bibliothèque de l’année grâce à l’originalité de son programme et de ses espaces mais ce n’est pas encore la synthèse idéale de l’ancien et du nouveau que de nombreux bibliothécaires attendent.
Les bonnes idées à voler
- Ouvrir et connecter visuellement un maximum d’espaces afin d’inciter l’usager à circuler et à s’approprier le lieu.
- Varier au maximum les espaces pour accueillir des usages individuels ou collectifs, solitaires ou sociaux, calmes ou bruyants, dynamiques ou apaisés, connectés ou déconnectés.
- Distinguer des zones, non seulement par leur nom et leur fonction, mais aussi via des partis pris d’aménagements qui vont orienter les usages : choix du mobilier, éclairage, ambiance, niveau sonore, matériaux…
- Utiliser du mobilier domestique (mobilier de salon, mobilier de jardin, tapis…) pour créer une ambiance « comme à la maison » et/ou varier les postures.
- Utiliser des matériaux et des éléments naturels comme le bois ou les végétaux afin de créer des ambiances apaisantes (valable même avec des plantes artificielles).
- Créer de véritables espaces extérieurs qui incitent à sortir plutôt que des bocaux enclavés. A retenir : si la météo le permet, un balon ou un jardin peut aussi être une zone de travail, utilisable par exemple pour faire des visioconférences.
- « Aller voir ailleurs ». Transposer dans les espaces des éléments clés de situations simples de la vie quotidienne dans les espaces : faire du lèche-vitrine, bouquiner, etc.
- Dans le programme technique et fonctionnel d’un nouvel ouvrage décrire l’agencement des futurs espaces de façon graphique et pas simplement de façon abstraite, quantitative ou schématique.