La pensée visuelle : c’est quoi ?
La pensée visuelle, c’est tout simplement le fait de penser, de réfléchir, de communiquer, de formuler des idées et des solutions à l’aide d’images plutôt que de mots ou de concepts.
Le terme désigne également un vaste ensemble d’outils développés depuis une trentaine d’années dans toutes sortes de domaines (management, éducation, design, innovation…) et qui sont basés sur la visualisation. On peut citer pêle-mêle les sketchnotes, les mind-maps, les populaires bullet journals, la facilitation graphique, les bon vieux schémas et diagrammes, la data visualisation, les storyboards, etc.
A quoi sert la pensée visuelle ? En 2016, pour une revue professionnelle, j’avais demandé à Magalie Le Gall de répondre à cette question à l’aide d’un visuel. Le résultat est la sketchnote que vous voyez ci-dessous. Pour Magalie, représenter ses idées sous une forme graphique permet de penser autrement et de façon moins linéaire. C’est une approche plus adaptée à certaines personnes, qui facilite la mémorisation et qui stimule la créativité. La pensée visuelle favorise également le passage à l’action parce qu’on est tout de suite dans le concret (un storyboard qui représente un nouveau service, c’est déjà un prototype).
La pensée visuelle selon Magalie Le Gall (source)
Magalie souligne également dans son croquis que la pensée visuelle facilite la communication : elle permet d’informer, de décrire, de convaincre et de mieux se comprendre. Ce dernier point est très bien illustré dans une petite bd que je montre souvent en formation, extraite du livre Le Story mapping de Jeff Patton. Parfois, quand on en reste aux mots, on a l’impression d’être d’accord alors que ce n’est pas le cas (parce qu’on n’a pas la même culture professionnelle, pas le même vocabulaire, pas les mêmes capacités d’abstraction). Représenter les choses sous une forme visuelle permet d’avancer vers davantage de consensus et de compréhension mutuelle. Pour travailler à plusieurs, il est beaucoup plus facile de montrer, de faire des dessins ou de manipuler des post-it que de simplement parler.
Ce dernier point est très important. C’est la raison pour laquelle la pensée visuelle est un puissant outil participatif. Elle permet à des gens différents de dialoguer plus facilement entre eux : professionnels de tous bords, usagers ou utilisateurs, prestataires, tutelles, clients… C’est aussi pour cela que la pensée visuelle permet de faire de la facilitation, c’est-à-dire d’aider un groupe à dialoguer, à réfléchir, et à produire des idées collectivement.
Les canevas, un outil de facilitation visuelle
Passons maintenant à la famille d’outils que je souhaite vous présenter, précisément parce qu’ils permettent de faire de la facilitation visuelle : les canevas.
Un canevas (en anglais « canvas ») est en général une simple liste de notions ou de questions inscrites dans des cases. Mais ces cases sont agencées sur un support visuel attrayant, qui rend leur articulation logique. Bien souvent, ces « cases » s’articulent autour d’une métaphore visuelle qui va permettre de se les approprier plus facilement.
Les canevas sont surtout employés en atelier : on distribue ou on affiche le support, et un facilitateur est chargé d’aider les participants à le compléter. Plutôt que de remplir directement les cases, on utilise souvent des post-it, ce qui permet à la conversation de rester vivante, puisqu’on peut déplacer les idées, les réécrire, les regrouper, les mettre de côté, etc.
L’objectif d’un atelier canevas peut être :
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de tirer des idées aux clairs
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de prendre des décisions
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de modéliser un projet
Et ce n’est pas une liste exhaustive !
Un atelier canevas est précisément minuté : chaque rubrique correspond à une étape et à un temps donné. En s’astreignant à suivre un rythme fixé à l’avance, on évite l’écueil des réunions qui ne mènent nulle part ou qui s’éternisent.
Le reproche qu’on fait parfois à ce type d’atelier est d’être étroitement balisé, très directif, et certaines personnes les jugent infantilisants ou craignent d’être manipulées en s’aventurant dans un mode d’expression à la fois inhabituel et très séquencé. C’est au facilitateur de créer un climat de confiance et de rappeler que ce type d’outil n’a évidemment pas vocation à remplacer toutes les autres formes de communication et de travail : c’est juste une corde de plus à notre arc.
Quelques exemples de canevas
Bref, un canevas, on pourrait dire que c’est un bête formulaire, mais un formulaire sexy et qui aide à penser collectivement. Difficile à imaginer ? Ce sera plus clair en prenant 3 exemples concrets. Je vais me contenter d’outils extrêmement simples, et j’évoquerai des canevas plus complexes dans mon billet suivant.
Premier exemple : la carte d’empathie (vous vous rappelez ? j’en avais déjà parlé ici). Il s’agit d’un canevas qui permet de représenter ce que pense, ressent ou perçoit un usager ou un groupe d’usagers (parfois, on ajoute aussi ses problèmes, ses aspirations, etc.)
Rien de bien sorcier, mais le fait de se forcer à balayer toutes ces rubriques permet de s’assurer qu’on a bien en tête toutes les dimensions de l’expérience de notre utilisateur cible avant d’entamer un nouveau projet ou d’imaginer un nouveau service. Dans l’idéal, les cartes d’empathie font suite à des séances d’entretiens ou d’observations et elles permettent de mettre en forme des données de terrain. Les choses peuvent aussi se faire en sens inverse : on remplit une carte d’empathie a priori, sur la base de nos intuitions, puis on va sur le terrain pour les vérifier.
Le simple fait de remplir la carte peut être révélateur. Je me rappelle d’un atelier que j’avais animé en bibliothèque, la première étape était une carte d’empathie centrée sur le public ado. L’équipe de bibliothécaires séchait complètement sur la rubrique « entendre ». Nous nous sommes rendus compte qu’aucune action de communication ne ciblait les ados et que les professionnels n’avaient aucune idée de ce que les adolescents savaient ou entendaient dire au sujet de la bibliothèque. La carte d’empathie avait permis de mettre cela à jour très rapidement.
Deuxième canevas très simple : la métaphore du bateau (souvent appelée « le speedboat »). Il s’agit d’un « paysage métaphorique » représentant un voilier voguant sur la mer. Les éléments qui l’entourent sont variables mais on retrouve en général le vent (qui nous pousse vers l’avant), une ancre (qui nous tire en arrière ou nous garde immobile), des récifs ou des requins (qui nous menacent), une île au trésor (que l’on cherche à atteindre).
Remplir chacune de ces rubriques permet de dresser un état des lieux d’une situation, centré sur l’équipage du voilier (notre équipe, notre établissement, ou bien les usagers que l’on souhaite « embarquer » avec nous…). Le résultat final est proche d’un SWOT, une grille d’analyse où l’on note les forces (strenghts), les faiblesses (weaknesses), les opportunités (opportunities) et les menaces (threats) qui composent un environnement. Mais le speedboat est plus concret, plus incarné. Il met « l’équipage » au centre, et de ce fait les résultats sont souvent différents d’une simple matrice SWOT.
Utiliser des canevas avec un très grand groupe
On le voit, les canevas peuvent être utilisés dans toutes sortes de contextes :
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En solitaire, pour mettre ses idées en forme sous une forme facile à mémoriser ou à partager
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Dans des réunions traditionnelles, pour aligner un groupe et cadrer la discussion
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Avec plusieurs dizaines de participants, afin de simplifier les échanges et de canaliser les énergies
Pour terminer ce billet, approfondissons ce dernier cas de figure. Dans des évènements comportant 20, 50, 100 personnes ou même plus, il est exclu d’organiser des réunions traditionnelles. Les assemblées générales, quant à elles, sont bien trop facilement piratées par les grandes gueules, les figures d’autorité ou les beaux parleurs. Avec un si grand nombre de personnes, des outils de pensée visuelle permettent de fixer des objectifs simples, partagés, compréhensibles et accessibles pour tout le monde.
C’est très bien illustrés par les Idea camps organisés entre 2014 et 2017 par la Fondation européenne pour la culture. Il s’agit d’évènements d’une durée de 3 jours qui réunissent à chaque fois une cinquantaine de personnes venant de toute l’Europe pour imaginer des projets ensemble. Pour animer ces journées, l’agence d’innovation sociale Planoniq a conçu chaque année une méthodologie différente basée sur des canevas visuels imprimés en grands format.
En 2015 par exemple, les participants devaient formuler leurs projets en remplissant les 3 faces de grands panneaux montés sur roulettes.
Pour l’édition 2017, Platoniq s’est inspiré de 6 canevas visuels existants (dont la fameuse carte d’empathie) permettant d’aborder toutes les facettes d’un projet : l’utilisateur cible, les partenaires, l’engagement des parties-prenantes, etc. Cette fois, les canevas gigantesques étaient collés sur le sol pour former un vaste parcours.
Pour en savoir plus sur les Idea camps et sur les outils employés, vous pouvez consulter la documentation conçue par Platoniq pour l’édition 2017, ou bien jeter un œil sur ce billet de ma camarade Alexia J. Casanova sur son site Artizest. Alexia détaille de façon précise la méthodologie employée en 2015 pour travailler sur la thématique « Build the City ».
Ça y est, on arrive au bout de ce billet introductif ! J’espère trouver le temps, dans de futurs articles, de vous faire découvrir d’autres canevas, comme le « king » des canevas, le business model canvas (qui permet d’établir un modèle d’affaire si vous cherchez à générer des profits, un plan stratégique ou un modèle d’organisation si vous avez un but non lucratif), ou le canevas de design d’évènement (qui permet de concevoir toutes sortes d’évènements : action culturelle, formation, journée pro, festival, etc.)
Passionnant ! Et merci de valoriser la pensée visuelle, une des grandes compétences des personnes Sourdes.
Merci à vous Sylvie !
Merci pour cette présentation claire et concise de la pensée visuelle avec des liens pour approfondir. C’est l’idéal pour une lecture sur écran. 🙂