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Le Recueil Factice
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L’art d’aller voir ailleurs

Nicolas Beudon
La notion d’expérience utilisateur (UX) est de plus en plus populaire en bibliothèque. Parmi les innombrables possibilités qu’ouvre cette notion, il y en a une qui est particulièrement intéressante : une expérience n’étant jamais propre à un lieu donné, il est souvent utile d'aller voir ailleurs, et de pirater de bonnes idées provenant d'autres univers professionnels.

L’analogie est un outil puissant pour améliorer l’expérience utilisateur

Il est possible que dans ces autres endroits, très différents d’une bibliothèque mais où l’on retrouve le même type d’expériences, d’autres personnes aient trouvé des réponses aux questions que nous nous posons dans nos établissements.

« Aller voir ailleurs » n’est pas un réflexe entièrement étranger à notre profession mais on a tendance à rester focalisé sur deux ou trois métaphores monolithiques qui nous accaparent totalement : la bibliothèque-café, la bibliothèque-salon, plus rarement la bibliothèque-lab. On a tout à gagner à élargir cette palette d’analogies.

Prenons l’exemple du travail réalisé par l’agence de design Brio pour le voyagiste Thomas Cook. Dans la brève vidéo ci-dessous, il y a plusieurs pistes susceptibles d’interpeller un bibliothécaire. Le plus évident est peut-être le travail sur la posture d’accueil en côte à côte (qu’on essaie de plus en plus d’implémenter en bibliothèque), mais on pourrait également s’inspirer des dispositifs physiques originaux (cartes postales, plaquettes, valises…) qui permettent de rematérialiser une offre devenue trop abstraite (une question essentielle en bibliothèque où l’on propose de plus en plus de ressources numériques de qualité mais sans avoir d’interface physique ou numérique digne de ce nom pour les signaler et les mettre en valeur).

Nos associations professionnelles organisent régulièrement des visites de bibliothèques qui permettent de découvrir d’autres lieux mais ce n’est pas suffisant. Il faudrait également partir en expédition dans des crèches, des stations services, des musées, des mairies, des hamams ou des parcs d’attraction !

Les collègues de la BU d’Angers sont, à ma connaissance, les seuls à effectuer des virées de ce type, comme l’explique la directrice Nathalie Clot :

«  Ma collègue Maud Puaud (coordinatrice des formations) a organisé avec le groupe métier chargé de la valorisation des collections des expéditions à la FNAC, au Repère des héros (une boutique de jeux), à la bibliothèque municipale d’Angers et à France Loisirs. Ils en ont rapporté plein d’idées… Frederic Desgranges (responsable de la BU Saint Serge) a organisé des visites plus ouvertes, pour nourrir la réflexion sur l’accueil (gare, magasin d’optique, banque) sans application immédiate. Sur le feu, nous avons la visite d’un cinéma réhabilité au pied de la BU (et son Starbucks) avec le groupe aménagement et avec l’équipe qui travaille à proximité (pour qu’ils puissent voir à quoi ils sont « comparés »).

En réunion, nous avons aussi fait des « expériences de pensée » analogues : Nadine Kiker (directrice adjointe) a fait travailler les collègues sur une situation d’interaction commerciale (dans une parfumerie) et dans un service public (une CAF) en demandant à chacun de se remémorer ce qu’il avait apprécié ou pas. Dans un premier temps, les gens ont  assimilé ça à de la « réunion post-it » un peu vaine, mais il me semble en lire des restes dans certaines manières de raisonner. Il me semble que le pas de côté « mental » est de plus en plus spontané chez beaucoup…

Avec l’équipe de direction, nous jouons en permanence à la situation analogue (au restaurant, à l’hôtel en cas de mission, aux accueils de congrès)… C’est intégré à notre culture de tous les jours (et très précieux pour nous tenir « réveillés »). Nous avons comme ça une étude longitudinale sur les toilettes dans plein de contextes qui nous donne des exemples et des points de comparaison. L’accueil commence par les toilettes, c’est bien connu ! »

Il y a un exemple d’analogie que j’aime beaucoup et qui vient précisément d’Angers. En BU, l’espace dédié aux photocopies est souvent pénible à utiliser. Il s’agit généralement d’une zone en libre service où les usagers doivent réaliser des opérations nombreuses et complexes (payer ou recharger un compte, s’identifier pour récupérer une impression sur un serveur, photocopier, scanner…), ce qui aboutit à une multitude de consignes inscrites sur des feuilles A4 scotchées aux murs ou sur les appareils. Pour améliorer cela, les collègues d’Angers se sont demandé où l’on retrouvait une configuration identique et ils ont pensé… aux laveries automatiques ! Résultat : un espace bien plus pratique, avec des consignes inscrites en grand sur les murs.

3 exemples d’analogie dans les 7 lieux

Dans les 7 lieux, la nouvelle médiathèque de Bayeux intercom qui ouvrira dans quelques mois, nous nous sommes inspirés de toutes sortes d’endroits existants. Voici 3 exemples de questions auxquelles nous avons répondu à l’aide d’analogies :

1) Comme rendre cosy une machine à café trop visible ?

Pour notre tout petit espace café situé dans le hall d’entrée, nous ne souhaitions pas installer de vilains distributeurs de snacks. C’est l’une des première choses que l’on voit en entrant et nous n’avions pas envie que nos usagers aient l’impression d’arriver dans une cafeteria miteuse sur une aire d’autoroute (il y a des analogies qu’on préfère éviter !). C’est la raison pour laquelle nous nous sommes inspirés de Starbucks. La marque a en effet été confrontée à une problématique identique lorsqu’elle a voulu développer une offre « hors les murs », sans perdre pour autant son standing. Nous avons tout simplement reproduit les corners Starbucks on the go, que l’on retrouve dans toutes sortes de lieux publics mais qui évoquent en même temps l’univers cosy de la chaine de café.

Un stand Starbucks on the go Source

2) Comment disposer nos collections de façon plus attractive ?

Dans une grande majorité de bibliothèques, les collections sont rangées à l’aide d’une classification décimale telle que la CDD ou la CDU. Cet ordre intellectuel est reproduit dans les espaces physique à l’aide de rayonnages disposés en épis qui se succèdent. Cet aménagement très rationnel est particulièrement performant pour les usagers experts, qui ont leurs habitudes ou qui maitrisent des outils tels que le catalogue. Comme chaque livre a une « coordonnée » unique ou presque, ce système est également très utile pour ceux qui recherchent un document précis. Par contre, il peut être déroutant pour le grand public ou pour des gens qui ne cherchent rien de spécial et qui souhaitent simplement être surpris (c’est-à-dire 70% des gens en bibliothèque publique, d’après les enquêtes réalisées par Envirosell aux Etats-unis). Pour ces usagers, un agencement de type librairie est plus adapté grâce à 3 caractéristiques :

  • Un classement thématique souple et évolutif, correspondant à la réalité de l’offre éditoriale et aux goûts du public
  • Des rayonnages continus, agencés en alcôve plutôt qu’en épis, facilitant le furetage et la sérendipité
  • Au centre de ces alcôves, des tables de présentation ou du mobilier similaire permettant de présenter les documents de face ou en piles

Dans les 7 lieux, nous avons essayé de reproduire ce modèle – là où nos espaces le permettaient – et nous employons surtout un classement maison, dérivé de plusieurs classements de libraires.

L’implantation typique d’une librairie (rayonnages continus/alcôve/table centrale) dans une Fnac

3) Comment rendre plus ludique un espace jeunesse un peu trop sage ?

Dans l’espace jeunesse, il n’était pas possible de procéder ainsi. Sur les plans, cette zone paraissait un peu austère car on retrouvait des rayonnnages disposés en épis monotones. Pour la rendre plus ludique, nous nous sommes inspirés des cours d’école et des jeux d’enfants. Pour inciter les jeunes lecteurs à se balader parmi les documentaires, nous avons demandé à l’agence Graphéine de dessiner un jeu de l’oie géant qui serpentera entre les rayonnages, qui fonctionnera comme une signalétique au sol mais qui pourra aussi servir à jouer. Nous avons également utilisé la face arrière d’un grand meuble à périodiques pour installer un mur d’expression en ardoise afin que les enfants puisse être actifs, créatifs et s’approprier l’espace. Ce sont deux idées assez simples, mais nous espérons qu’elles marqueront l’identité de cette zone !

Prototype 3D du jeu de l’oie et du mur d’expression

Deux activités simples à réaliser en équipe

Vous voulez explorer le pouvoir des analogies avec vos collègues ? Voici deux activités qui peuvent être réalisées très facilement en réunion, au format brainstorming. Il s’agit de méthodes classiques employées par les designers d’IDEO, les gourous du design thinking.  Elles fonctionnent très bien en groupe et donnent généralement des résultats amusants et étonnament pertinents.

La recherche d’analogies

  • Définissez avant tout la problématique que vous souhaitez explorer sous la forme d’une question débutant par « comment faire pour… ? » (par exemple : « comment faire pour rendre nos espaces de travail internes plus motivants ? »)
  • Tracez deux colonnes sur une feuille ou un tableau
  • Dans la première colonne, listez un maximum d’éléments constitutifs de votre situation de base, il peut s’agir de noms communs, de verbes d’action, d’émotions… (par exemple, si vous travaillez sur vos espaces de travail internes : des postes informatiques individuels, se concentrer sur une tâche individuelle dans un open space, écouter quelqu’un faire une présentation, retrouver des têtes familières, etc.)
  • Dans la deuxième colonne, pour chaque item de votre liste, trouvez une ou plusieurs autres situations où l’on retrouve la même composante (exemple : des postes informatiques > un call center, se concentrer… > une salle de fitness, écouter quelqu’un… > une conférence TED, retrouver des têtes… > un repas de famille, etc.)

Et voilà ! Vous avez une liste d’analogies ! Selectionnez les suggestions les plus pertinentes ou les lieux les plus faciles à observer. Il n’y a plus qu’à aller sur le terrain pour recueillir des idées et des pistes d’action !

Le mash-up

  • Vous avez toujours besoin de partir d’une problématique énoncée sous la forme d’une question débutant par « comment faire pour… ? »
  • Faites un rapide brainstorming et sélectionnez deux catégories bien distinctes mais connectées à votre problématique (si on garde la même problématique, cela pourrait être « une salle de réunion » et « des choses divertissantes »). Ces deux catégories peuvent également être issues de votre recherche d’analogies.
  • Pour chaque catégorie, listez un maximum d’éléments constitutifs (pour la salle de réunion : table, chaise, projecteur vidéo, ennui, écouter le chef parler, s’exprimer devant plusieurs personnes, prendre des notes, etc.) Ces éléments peuvent être issus d’observations sur le terrain.
  • Combinez deux à deux des éléments issus de chaque catégorie pour imaginer de nouvelles idées. Essayez de réunir des choses très éloignées mais de façon pertinente pour répondre à votre problématique (par exemple, que peut-on imaginer en combinant « un diaporama powerpoint » et «  un spectacle de stand up » ou bien « des tables et des chaises » et « une séance de massage « ou « une réunion de service » et « une partie de ping-pong » ?)
  • Pour chaque idée : donnez lui un nom, résumez-là en deux ou trois phrases, et faites un croquis si besoin pour être plus clair (exemple : La réunion ping pong –  un format de réunion pour faciliter l’expression des opinions. On définit un sujet à traiter puis on se lance une balle de ping pong pour faire circuler la parole. Il est interdit de demander la balle et il ne faut pas trop réfléchir avant de la lancer !)
  • Après avoir trouvé un maximum d’idées, vous pouvez les trier, les hiérarchiser, et les reformuler.

Vous l’avez sans doute remarqué : la recherche d’analogies, l’observation sur le terrain et le mash-up se combinent très facilement ensemble !

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